Alors que la population mondiale devrait atteindre 9,7 milliards d'habitants en 2050, les défis de l'agriculture durable n'ont jamais été aussi pressants. Mais face à une crise écologique grandissante, pouvons-nous encore faire confiance au progrès scientifique pour contribuer à la préservation de l'environnement ?
Depuis les années 1970, la promesse d'un bien-être accru grâce au progrès technologique est de plus en plus remise en question. Dans tous les domaines, et tout particulièrement les techniques agricoles, les progrès technologiques soulèvent des interrogations quant à leur pertinence, leur efficacité, leur utilité réelle et leurs effets induits.
Ces interrogations font face à un défi majeur.
Comment réussir à nourrir une population qui atteindra près de 10 milliards d’habitants d’ici 2050 en gérant durablement les ressources naturelles indispensables à la vie - l’eau, les sols, l’air, la biodiversité - pour répondre à l’urgence écologique et aux exigences de durabilité ?
Dans un rapport datant de 2020, l’INRAE a par exemple mis en exergue que l’on observe en France, depuis les années 90, une stagnation des rendements du blé, principale production de l’agriculture française. Le climat en serait responsable pour 30 à 70%.
Dans ce contexte, une question se pose : la science est-elle la solution incontournable ?
Pour tenter d’y répondre cet article propose d'explorer dans quelle mesure la science peut répondre de manière satisfaisante aux enjeux majeurs du monde agricole, tout en considérant les limites auxquelles elle expose.
La science peut être un recours dont les applications multiples produisent des effets avérés
Dans la quête d'une agriculture durable, la science joue un rôle de premier plan. Elle n'est pas seulement un moteur d'innovation ; elle est aussi une source essentielle de connaissances et de solutions pratiques.
La science agronomique, par ses recherches approfondies et ses expérimentations, a ainsi permis des avancées significatives pour comprendre le fonctionnement des sols et du vivant (plantes, animaux).
L’entomologie, la phytopathologie, la science de l’écologie sont des exemples de sciences qui ont permis de comprendre les relations entre les organismes vivants et les écosystèmes, par exemple les insectes ou les bactéries avec les plantes. Ces connaissances sont très utiles dans le domaine du biocontrôle pour utiliser des ressources naturelles comme facteur de protection des végétaux.
Prenons l'exemple des études sur le rôle des engrais dans la nutrition des plantes ou sur celui des bactéries qui contribuent à la fixation de l’azote par les légumineuses. Ces découvertes ont non seulement validé des pratiques anciennes mais elles les ont aussi améliorées, permettant aux agriculteurs d’accroître le rendement de leurs exploitations et de viser des objectifs plus ambitieux tels que l'autonomie alimentaire et une meilleure rémunération.
Sur un autre aspect, en apportant des données précieuses pour faciliter les décisions, l’intégration du numérique a par ailleurs transformé l'agriculture en une science de précision.
L'adoption de technologies telles que les capteurs de sol, les drones et les systèmes d'information géographique (SIG) permet désormais aux agriculteurs de prendre des décisions éclairées basées sur des données précises ; la data contribuant pleinement à une connaissance plus fine des rendements, une modulation des apports d’intrants au plus près des besoins et une meilleure précision dans l’apport des fertilisants.
Lors d’une étude menée sur un système d’irrigation de précision à Maricopa en Arizona, deux chercheurs chinois Sui et Yan (2017) ont par exemple observé une augmentation du rendement du soja de 2,8 % et du maïs de 0,8 % avec une quantité d’irrigation pourtant réduite de 25%.
L’approche scientifique de calcul d’impact est également essentielle. Elle fournit des mesures indispensables pour évaluer l’impact des productions et définir des axes pertinents d’améliorations pour des pratiques agricoles plus durables. En tant que science encore jeune, les apports de la recherche sont indispensables pour en améliorer les méthodologies.
La science joue aussi un rôle clé dans la sensibilisation et l'éducation sur les enjeux environnementaux. Ainsi, depuis sa création en 1988, le GIEC a publié 6 rapports d’évaluation du climat. Il s’est imposé comme un acteur majeur dans la mise en lumière des effets du changement climatique sur l’agriculture et œuvre activement pour l’accélération de décisions politiques importantes.
Enfin, la science est au cœur de nouvelles initiatives visant à rémunérer les agriculteurs pour leurs pratiques environnementales. Des programmes tels que les Paiements pour Services Environnementaux (PSE) et les marchés de crédits carbone reconnaissent et récompensent les efforts des agriculteurs pour leurs actions en faveur de la protection de l'environnement et la séquestration du carbone. De nouveaux business models apparaissent, offrant par exemple aux agriculteurs une rémunération directe liée à la vente de leurs données d’impact.
Mais la science a aussi ses limites…
Dans certaines communautés rurales d'Amérique Latine, l'introduction de pratiques agricoles modernes a parfois remplacé des techniques agricoles traditionnelles et durables, entraînant une perte de savoirs ancestraux, une dépendance accrue aux intrants externes, et une fragilisation de l’économie des petites exploitations.
Ainsi, en Argentine, en une quarantaine d’années, la Pampa a perdu près de la moitié de ses exploitations, désormais au nombre de 134 000 environ.
L’intérêt du recours aux cultures transgéniques pose également question.
Deux agronomes indiens ont mené à partir de 2003 une étude sur la performance du coton Bt coton Bollgard de Mahyco Monsanto Biotech. Ils ont montré que ce coton n’a pas permis de réduire significativement l’utilisation des pesticides ni d’augmenter le rendement des cultures. Son rendement a même été inférieur au coton non-Bt, avec un cout de production pourtant supérieur. Il a enfin causé des problèmes de toxicité du sol, favorisé le développement de nouvelles maladies et provoqué l’apparition de nouveaux ravageurs contrôlés auparavant par les pesticides.
Un autre sujet concerne la temporalité de la science et des analyses.
Jusqu'où remonter dans le temps pour évaluer les impacts passés ? Si la mesure du stockage de carbone d'une prairie nécessite de considérer l'historique des cultures sur le site, quelle période de référence prendre pour avoir une mesure précise ? Enfin, le vivant étant par définition en constante évolution, sur quelles mesures se baser lorsque les conditions mêmes du sol changent continuellement ?
La science peine à suivre le rythme de l'évolution constante du monde vivant. Les changements dans les populations d'insectes et de micro-organismes du sol peuvent ainsi affecter les écosystèmes agricoles de manières imprévisibles, mettant en évidence les limites de nos connaissances actuelles.
La géographie est aussi est un facteur potentiellement limitant sur l’efficacité des données scientifiques. Mesurer l'impact d'une haie sur la biodiversité est complexe car les organismes vivants se déplacent sans limites géographiques claires.
Et puis la science a ses biais, liés au fait que par essence, elle ne sera jamais le reflet d’une seule vérité.
Les méthodologies scientifiques, créées par l'homme, sont sujettes à interprétation et peuvent ne pas refléter avec précision la complexité des systèmes agricoles ; une limitation pouvant conduire à des conclusions erronées ou incomplètes.
Enfin, réguler l’usage des nouvelles technologies agricoles est chose complexe. Observons pour nous en convaincre les débats portant sur les normes pour l’autorisation de l’usage des OGM et des pesticides dans l’Union Européenne.
Alors que penser de son intérêt et du rôle qu’elle peut jouer pour répondre aux grands enjeux de transformation du monde agricole ?
Qu’elle permette de découvrir, de valider ou d’infirmer des hypothèses, d’innover ou simplement faire évoluer des pratiques existantes, la science a le mérite de questionner et faire naitre les débats.
Elle est un recours nécessaire pour donner de la matière aux arguments ; une matière qui prend corps dans l’expérimentation, l’observation, la précision des calculs, l’analyse et la formulation de conclusions fiables, objectives et neutres.
Pour tendre vers une agriculture plus durable qui n’est désormais plus une option, la science doit être considérée comme un allié permettant d’accélérer le changement tout en s’assurant de la pertinence des solutions trouvées.
C’est en partie par elle que seront décidés les investissements nécessaires pour faire évoluer les exploitations vers des pratiques plus durables ; sur elle que reposeront les nouvelles formulations de produits alimentaires pour répondre aux exigences de l’affichage environnemental ; grâce à elle enfin que de nouvelles méthodologies seront écrites pour calculer avec justesse l’impact et les externalités positives de l’agriculture.
Pour cela, l’agriculteur devra impérativement monter en compétences en devenant un entrepreneur doté de multiples expertises : Eleveur, vétérinaire, spécialiste data, financier… une mutation qui ne pourra se faire sans formation solide.
Mais c’est aussi et surtout en travaillant ensemble que scientifiques, agriculteurs, industriels et pouvoirs publics pourront contribuer à la transformation d’une filière au bénéfice des générations futures.
C’est un peu tout ceci que nous aborderons dans une série d’articles à venir ; une réflexion destinée à mieux percevoir les transformations en cours de notre monde vivant.
Auteurs : Madeleine Charlery, Marine Chotard, Stanislas Martin, Anaëlle Pagnoux, Fanette Haltel